De l'agnosticisme à l'athéisme
via le rasoir d'Ockham

Extrait du livre :

Marcel Délèze
Résister à l'endoctrinement religieux
Essai

À la frontière entre philosophie et religion

L'agnostique pense que rien ne prouve l'existence ou la non existence d'un créateur (ou de plusieurs) et, par principe, rejette les religions constituées. Cependant, comme il admet que Dieu puisse éventuellement exister, il doit envisager la possibilité, non établie mais pas exclue, d'être soumis au jugement divin. C'est pourquoi sa position face à la religion de son milieu social - ou à celle qu'il a quittée - demeure généralement ambiguë et inconfortable.

Les deux questions centrales de la philosophie sont « 1. Comment gérer l'incertitude de l'avenir, c'est-à-dire que faire de notre ignorance ? » et « 2. Quelles règles vais-je adopter pour gouverner ma vie ? »

  • La réponse des croyants est « L'ignorance n'existe plus depuis la Révélation ». Les règles à suivre ont été consignées dans Le Livre.
  • La réponse des agnostiques est « Puisque nous ne savons rien, nous renonçons à nous engager dans une religion, mais nous n'excluons pas que Dieu existe et nous juge. Selon le principe de précaution, il vaut mieux en tenir compte et agir avec la prudence du croyant, au moins partiellement. » Les règles à suivre sont ambiguës, chacun choisit celles qui lui semblent essentielles. Souvent, l'agnostique se définit par rapport à une religion dont il n’est pas membre, mais avec laquelle des liens culturels ont été noués.
  • La réponse des athées est « Puisque nous ne savons rien, nous n'allons pas nous conformer à de simples hypothèses et allons agir hors de toute religion ». L’athée n’a pas le devoir de suivre des règles, sinon celles qu’il se forge librement et auxquelles il consent librement.

L'agnosticisme est une position facile à atteindre, mais il est difficile de soutenir qu'il faille accorder du crédit à des hypothèses simultanées et contradictoires. Déclarer que le Jugement dernier est entaché d'incertitude ne permet pas de se soulager du sentiment de culpabilité. Nous allons montrer que l'athéisme est le prolongement de l'agnosticisme via le principe de simplicité.

L'agnosticisme

L'agnostique est conscient des limites des connaissances humaines, et les accepte. Si les croyances de nos parents avaient été autres, qu'en serait-il des nôtres ? L'émerveillement devant les beautés de la nature nous indique que la complexité du réel nous dépasse, ce qui contribue à jeter du brouillard sur les croyances. Que savons-nous de l'existence de divinités : Dieu, dieu ou dieux ? Le surnaturel offre un nombre illimité d'explications. Nous sommes abreuvés d'affirmations diverses, sans preuve crédible. S'il y a « quelque chose » dans l'au-delà sans que nous sachions de quoi il s'agit, c'est que « l'au-delà » ne nous en a pas informé. Nous n'avons donc pas à nous en préoccuper.

Que devient l'âme humaine à notre mort ? Nous n'en savons rien. Parmi les innombrables religions qui existent, à supposer que l'une d’elles soit vraie, quelle est la bonne ? Si nous acceptons de croire en une religion, ne serait-il pas tout autant justifié de croire en une autre ? La foi n'est-elle pas un héritage culturel qui, comme une langue ou une tradition, ne serait ni vraie, ni fausse, mais simplement donnée à pratiquer en tant que conformisme socio-culturel ?

L'existence du mal est une offense à la perfection divine. Les chrétiens frisent l'incohérence en soutenant simultanément que Dieu est nécessaire à l'explication du monde et que l'existence du mal est un mystère. Mais les théologiens possèdent une méthode universelle capable de résoudre n'importe quel problème : « C'est un mystère, mais celui qui a la foi place sa confiance en Jésus-Christ ». Les invraisemblances et les contradictions se dissolvent dans la foi. La bonté ou la toute puissance divine ne devant pas être mise en doute, ne serait-il pas plus sensé de dire simplement : « l'explication du monde, ainsi que l'existence de Dieu, sont des mystères » ?

Croire consiste à adopter une doctrine parmi d'innombrables doctrines. Celui qui dit « C'est vrai pour moi » renonce à l'objectivité pour se confiner dans une subjectivité, généralement partagée par une communauté et entretenue par tradition. Ne pas accepter les limites de notre savoir est déraisonnable. Une question est intéressante dans la mesure où elle peut constituer un champ de recherches. Par contre, lorsqu'on aborde une question désespérée, il faut limiter l'investissement. Multiplier les hypothèses à l'infini est stérile. En adopter une rétrécit le champ de vision. Croire en bloc à un multi-pack de dogmes prêts à l'emploi, c'est se soumettre à l'arbitraire du hasard de la naissance et souvent, au nom de la tradition, se laisser dicter sa pensée intime par son environnement social. C'est renoncer à faire usage de son esprit critique par loyauté envers l’entourage ou en réponse aux attentes de la famille. Nombreuses sont les personnes qui se sentent contraintes par les convictions de leurs proches et protègent leur libre arbitre par la discrétion, le silence et un comportement apparemment conformiste. Même si une personne se déclare membre d'une communauté religieuse, on peut parfois voir dans son manque d'engagement une forme passive d'agnosticisme. De même qu'une démocratie véritable ne peut s'installer que si chaque citoyen se sent libre de se distancier du parti politique de ses parents ou de sa communauté, la liberté religieuse ne peut être qu'individuelle et doit pouvoir s’affirmer.

Des circonstances historiques aléatoires ne suffisent pas à définir une vérité. Il faut rester ouvert pour ne pas se sentir trop dérangé par de nouvelles hypothèses scientifiques. On peut prévoir que se présenteront bientôt des bouleversements plus importants encore que l'héliocentrisme ou la théorie de l'évolution.

L'agnosticisme est supérieur à la foi aux mystères. Dans l'incertitude, évitons de prendre parti. Malgré l'ardent désir de combler les lacunes de notre savoir, il vaut mieux se contenter de nos modestes connaissances attestées plutôt que de faire appel à des expédients religieux. La foi est un rempart destiné à masquer l'abîme de notre ignorance, mais le port de lunettes doctrinales rétrécit fortement le champ de vision. L'agnostique est souvent partisan du relativisme : « Toutes les religions se valent ». Le croyant a cédé à la tentation, dans une prétentieuse ivresse, de se figurer dans la confidence de Dieu. L'adhésion à une croyance est un saut au-delà de la raison, une plongée dans l'inconscient émotionnel, un acte irrationnel.

Dans un premier temps, l'agnosticisme est la seule position philosophique rationnellement défendable. Toute autre attitude, sous réserve de ce qui suit, n'est que propagande idéologique, car dépourvue de preuves fondatrices.

Contre le relativisme moral

En matière morale, à partir du moment où l'on récuse l'application de la charia, on a pris position contre le relativisme : les religions et les divers courants religieux ne sont pas équivalents et peuvent être jugés selon leur respect des droits humains. Un engagement inspiré de la démarche critique des Lumières peut fonder un choix raisonnable.

Le principe de simplicité [ou rasoir d'Ockham]

Que penseriez-vous d'une personne qui soutiendrait que « Quand personne ne l'observe, la tête des colombes se coiffe d'une auréole » ? Comme l'assertion ne peut pas être démentie par l'observation, elle paraît compatible avec la raison. Pour le bonheur des spiritualistes, tout ce qui est invérifiable est compatible avec la raison. Mais il se trouvera inévitablement un contradicteur à tendance sectaire pour prétendre « Non, il ne s'agit pas d'une auréole, mais d'un chapeau pointu en feutrine rose », ce qui mettra en évidence le caractère arbitraire de l'affirmation. Aucun biologiste ne peut adopter l’une de ces affirmations avec l’argument qu’il n’est pas possible de prouver le contraire. La science n'est pas agnostique.

Un fondement de toute science est le principe de simplicité. Si nous ne disposons d'aucune preuve crédible, c'est que ni l'auréole, ni le chapeau pointu n'existent. Il ne s'agit pas d'une déduction ou d'une certitude absolue, mais d'une attitude intellectuelle, d'une posture logique : sous réserve du principe de révision, notre manière de voir le monde doit être la plus simple possible qui soit compatible avec l'observation. L'élimination des hypothèses arbitraires - ou rasoir d'Ockham - permet l'émergence d'une vision épurée du monde, dépouillée de subjectivité et adaptée à l'échange entre les individus. La simplicité est nécessaire à la compréhension et à la rationalité du réel, ainsi qu'à l'établissement de la science. En évitant des querelles dont l'origine est imaginaire, mais dont les conséquences peuvent être tristement concrètes, le principe a de plus un effet pacificateur que l'on peut constater dans l'activité scientifique. Retenons l’énoncé suivant dont nous feront usage plus bas :

L'ensemble de ce qui pourrait potentiellement exister est contradictoire et ne peut donc pas constituer une matière exploitable. Plutôt que de tolérer des objets ou des êtres dont l'existence est invérifiable, il est plus raisonnable de les rejeter du corpus du savoir et de ne pas en tenir compte. Ainsi, leur existence éventuelle, sans être niée, est délibérément écartée.

L'embarras de l'agnostique

Douter signifie accorder un certain crédit à des hypothèses contradictoires. La raison se sent insatisfaite. Face à la grande diversité des religions, l'agnostique est perplexe. Vivre dans un univers confiné par des rideaux opaques derrière lesquels s'agitent peut-être des esprits amis, hostiles ou indifférents, mais inconnaissables, procure un sentiment désagréable, pesant et angoissant.

L'agnostique est souvent dans une attitude ambiguë avec la religion de son origine sociale :

  • d'une part, aucun lien administratif formel ne le rattache à une communauté religieuse ; puisqu’il est non croyant, il ne participe pas aux cultes ;
  • d'autre part, il accorde son consentement à certains éléments constitutifs essentiels de cette religion, typiquement un déisme avec certains traits culturels acquis, par exemple l'idée d'un possible Jugement dernier ; pour nommer cet état, il serait approprié d'utiliser l'expression « agnosticisme chrétien ».

Désirant être prêt dans le cas, pas établi mais pas exclu, où il devrait subir le jugement divin, l’agnostique peut se sentir moralement tenu de mener une vie vertueuse, ce qui n’est pas sans rapport avec la religion de son environnement social. La culpabilité demeure en tant qu'éventualité, donc en tant que sentiment permanent. Ainsi, l'agnostique conserve en son cœur une partie du poids de la religion.

L'agnostique a-t-il raison de ne pas s'engager ? Si une personne hésite entre plusieurs croyances et obéit à l'adage « Deux précautions valent mieux qu'une », pourquoi ne tenterait-elle pas de pratiquer plusieurs religions en parallèle ? Mais cela est condamné par la société.

Certains agnostiques disent ne pas croire en Dieu, mais à la Grande Énigme. Cette expression désignerait-elle une superposition de divinités qui, à la manière d'un objet quantique, serait formée des états « exister » et « ne pas exister » simultanément présents ?

Cultiver le doute c’est bien, mais développer l'esprit critique est nécessaire. Ainsi, on ne peut pas exclure que les flamants roses deviennent bleus lorsque personne ne les observe, mais quiconque veut éviter de se noyer dans la confusion mentale va refuser d'intégrer cette option dans sa vision du monde.

Toute croyance possède-t-elle suffisamment de pertinence pour être considérée comme une hypothèse crédible ? En prévision du cas où l'une d'elle verrait ses prévisions se réaliser, faut-il se comporter avec prudence et ménagement envers toutes les religions, y compris envers celles qui méprisent les droits humains ?

Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs devaient établir un projet de chasse, même s'ils n'avaient aucune garantie de réussite. L'attitude « Je ne sais pas, donc je ne fais rien » est intenable. Quoique philosophiquement fondée, la position « Seul l'incertain est sûr » est pragmatiquement infertile, et le principe de simplicité pousse à la dépasser. Faire des choix et engager des actions, même lorsque les informations disponibles sont incomplètes, sont des nécessités relevant de la condition humaine. L'incertitude et l'indétermination, générateurs de mal-être et de stress qui nous éloignent du bonheur, peuvent être levés en choisissant un camp. Devant l'alternative trembler ou cesser de trembler, un choix est possible. À défaut d'avoir une doctrine, il est nécessaire d'avoir une attitude définie face aux interpellations de la vie.

Vers l'athéisme

La vie est une chose étrange : nous devons tous jouer à un jeu dont personne ne connaît les règles. Le désir de certitudes peut nous faire miroiter des mirages. Malvoyant face au monde réel, quasiment aveugle par rapport à l'avenir, mais clairvoyant dans l'univers spirituel d'une communauté, tel est l'état que s'attribue la majorité des humains.

Vivre sans conte de fées est plus difficile, c'est pourquoi il est si difficile de vivre au XXe siècle.
Thomas Bernhard, écrivain autrichien.

Plutôt que d'adhérer, au hasard de la naissance, à un volumineux paquet de croyances traditionnelles, la raison, selon le principe de parcimonie, nous demande de n'adopter qu'un ensemble minimal de règles nécessaires. Lorsque la vérité est lacunaire ou désagréable, la foi ne peut pas la combler ou l'enjoliver par des connaissances imaginaires.

Passé au rasoir d'Ockham, l'agnostique devient athée. Personnifier le bien et le mal est un procédé littéraire qu'il ne faut pas prendre à la lettre. Si Dieu n'interfère pas avec nous, qu'il existe ou non ne fait aucune différence. Si Dieu existe, il joue à cache-cache et, s'il désire se masquer, nous devons respecter sa volonté d'incognito en l'ignorant complètement. L'univers demeure confiné par des rideaux opaques, mais la décision est prise de ne pas tenir compte d'une hypothétique présence dans l'au-delà tant qu'aucun signal clair n'est perçu. Contrairement aux adeptes du relativisme, il pense « Puisque les religions qui se réfèrent au divin ne sont pas sérieusement fondées, je les écarte toutes ».

Une explication satisfaisante est d'autant meilleure qu'elle est simple. Est à écarter toute explication alternative qui fait appel à un appareil complexe et arbitraire tel qu'en délivrent les religions. Être sage consiste, entre autres, à rester lucide sur la frontière entre ce que l'on sait et ce que l'on ignore, et par là éviter de croire.

Dieu, le sens de la vie et la liberté

Les limites de notre univers sont définies par l'horizon cosmologique. De l'au-delà, nous ne pouvons rien tirer, ni connaissance, ni matière à guider notre vie. La « Parole de Dieu » provient de l'imaginaire collectif. Puisque nous n'avons aucun signe tangible de l'existence de Dieu, nous pouvons refuser de régler notre vie sur un être improbable à propos duquel les avis sont discordants. Le sentiment religieux, probablement sélectionné par l'évolution afin de renforcer la cohésion du clan, révèle notre méconnaissance du cerveau humain. Le quelque chose que nous devinons au-delà de ce que perçoit notre conscience n'est pas une entité spirituelle, mais notre inconscient. Combler la béance intérieure par une idole ne résout rien. La transcendance relève moins de la philosophie que de la psychologie ou des arts fantastiques. La recherche frénétique d'une figure paternelle idéale, donc irréelle, exprime une forme d'immaturité. L'homme n'est pas gouverné par la fatalité tel un jouet soumis aux caprices des dieux, mais est un être libre, responsable de son destin dans les limites contraignantes des lois de la nature.

La vie n'a pas un sens en soi, un même sens pour tous les humains, mais peut prendre un sens pour chacun. À la question du sens de la vie, l'attitude la plus courante consiste à adopter l'idéologie de son environnement social, sans le recul critique permettant de percevoir le caractère arbitraire de l'imaginaire collectif. Que le sens de la vie dépasse l'entendement ne signifie pas que Quelqu'un s'en occupe. Le sens de la vie n'est pas révélé par un Livre : produit par la conscience personnelle, il appartient à chacun de le définir. Seul l'homme est générateur de sens. Sans désir, la vie se vide de toute pulsion constructive. L'infini existe dans ce qu'il nous est possible de bâtir, de créer ou d'aimer. Quand l'homme porte de l'amour dans son cœur, il ne s'agit pas de l'amour de Dieu, mais de l'amour de la vie. Par opposition à la religion qui est le sentiment d'avoir un patron à qui rendre des comptes, l'athéisme consiste à se percevoir comme un entrepreneur indépendant. En première approximation, il y a deux sortes d'individus : d'une part, les assistés - les brebis - qui font appel à leur autorité religieuse - le bon pasteur - pour être guidés : « Quel sens dois-je donner à ma vie ? » ; d'autre part, les autonomes qui se construisent un avenir : « Quels projets de vie vont donner du sens à mon existence ? ». Le croyant doit suivre un modèle prédéfini ; l'obéissance lui permet de se soustraire à la responsabilité du choix. L'incroyant peut exercer une sorte de spiritualité plus large, plus créative, moins stéréotypée, plus personnalisée. Les valeurs ne sont pas des exclusivités des Églises. Il y a tant de choses à aimer, à comprendre ou à construire ! Pour trouver une voie de développement personnel, la religion n'est qu'une option parmi d'autres, probablement pas la plus judicieuse. Par exemple, s'engager pour le bien commun permet souvent de se valoriser. On peut donner du sens à la vie en ayant comme objectif de se réaliser le plus pleinement possible, sur tous les plans : physique, affectif, intellectuel et social. Chacun se fait une idée de ce qu'est une vie réussie et tente de s'en approcher mais, en chemin, doit corriger son orientation par nécessité ou par évolution de ses goûts, le plus important étant de mettre en accord ses intentions et ses actes.

Il s’agit aussi de remplacer la triste condition selon laquelle l’homme naît coupable et doit être racheté par une philosophie plus souriante et paisible qui ouvre une porte sur un certain bonheur terrestre. Illustrons le propos par l'analogie suivante : une personne a reçu en cadeau un bon pour un voyage. Si la destination n'y est pas prescrite, doit-il s'en plaindre et se référer à une institution qui définira le tracé imposé par la tradition ? La liberté de parcours laissée par le bon de voyage est une valeur à laquelle il serait dommage de renoncer.

La liberté est exigeante quant à savoir quoi en faire. Celui pour qui la vie a un sens prescrit est condamné par le devoir à le suivre. Celui pour qui la vie n'a pas de sens donné est libre, soit de maugréer contre le non-sens de l'existence, soit de construire un projet de vie qui donne du sens à son existence. Il faut fuir ou soigner le pessimisme pathologique qui conduit au découragement face à la vie. Celui qui ne s'intéresse à rien s'engage dans l'impasse du non-sens. Le non-sens de l'existence est un sentiment de paumés, de blasés ou de dépressifs qui ne savent pas à quoi consacrer leur temps de vie. L'expression « la quête du sens » est à remplacer par « la construction du sens ». La plus belle des libertés est celle de créer. Une éducation laïque à l'autonomie spirituelle pourrait, selon le principe « Deviens qui tu es », apporter une aide à ceux qui pensent par procuration et trouvent du réconfort en déléguant à une autorité le soin de régler leur existence. Finalement, la vie n'a pas d'autre but que de la vivre, mais il reste encore à l'organiser afin qu'elle soit vécue dans sa plénitude. Cette démarche ne peut être que personnelle.

L'immortalité de l’âme est une affaire culturelle

L'affirmation selon laquelle les êtres humains seraient dotés d'une âme immortelle est arbitraire. Pour nous en convaincre, observons les réponses données par diverses cultures. Plus précisément, examinons combien d'âmes nous possédons :

  • pas d'âme immortelle
    • dans le bouddhisme : l'âme ne survit pas après la mort ; la réincarnation n'implique pas une âme immortelle ; le cycle des réincarnations doit s’achever ;
    • chez Épicure ;
    • pour les athées ;
  • une âme immortelle dans les religions du Livre ;
  • six âmes chez les Yekuana du Venezuela ;
  • dix âmes chez les Vietnamiens ;
  • 90 âmes chez les Tai-Deng du Laos.

Pour ceux qui croient en l'existence de plusieurs âmes, celles-ci ont généralement des destins différents selon qu'elles sont bonnes ou mauvaises.

En disant simplement « l'âme » tous cas confondus, elle peut être immortelle, ou disparaître puis ressusciter, ou renaître un certain nombre de fois puis se dissoudre. D'un autre point de vue, elle peut vivre spirituellement sans corps, ou vivre dans un nouveau corps, ou vivre dans l'ancien corps ressuscité. Des devenirs si divers sont le signe de théories imaginaires et dépourvues de fondements sérieux.

En recourant à ce qui est invérifiable, le surnaturel offre de grandes possibilités d'explications. Pourquoi pas celle ci : les hommes se transforment en Peter Pan et les femmes en Mary Poppins ?

Finalement, la notion d'« âme » est un trait culturel sans aucun fondement objectif. Puisque nous n'avons aucun indice probant sur le devenir de l'âme humaine à notre mort, l'immortalité de l'âme doit être éliminée par le rasoir d'Ockham. Nous n'avons pas à prendre en considération la survie de l'âme.

L'immortalité est une utopie, un fantasme, un déni de la mort. Emportés par leur révolte contre le réel, les croyants se plongent dans un monde merveilleux et paradisiaque. Ne serait-il pas préférable de limiter ses désirs à ce qui est possible et s'en tenir au truisme « Quand on est mort, on est mort » ?

L'unité du réel s'oppose à l'immortalité

Ne soyons pas les victimes d'un partage cartésien rigoureux entre « les choses matérielles » et « les choses de l'esprit ». On ne devrait pas envisager la vie comme étant l’intersection de deux mondes, l’un matériel constitué d’atomes inertes, l’autre immatériel contenant des êtres spirituels qui gouvernent la vie. L'univers ne se réduit pas à ce que l'on peut en voir par la lorgnette du catholicisme : la matière n'est pas inerte à la manière des composants d'une horloge, mais est capable de s'auto-organiser spontanément, de se structurer, de s'ordonner : la vie et l'intelligence sont des phénomènes naturels. Ainsi, l'organe principal de la vision n'est pas l’œil, qui est certes nécessaire, mais le cerveau qui traite et analyse l'information visuelle. De même que la vie n'a pas besoin du souffle divin pour apparaître, l'esprit peut émerger lorsque les conditions nécessaires sont réunies. La biologie et l’intelligence artificielle montrent qu’il n’y a pas de frontière entre la matière et la vie, ni entre la matière et l’intelligence.

L'univers dans lequel nous vivons inclut nos émotions et nos pensées qui ne nécessitent aucun monde spirituel distinct pour exister. Les êtres surnaturels et autres esprits n'existent que dans le psychisme des individus. La dimension spirituelle existe, mais elle est subjective. Nous sommes des parcelles du monde naturel où s'est formé un peu de raison et de liberté. Notre conscience ne s'allumant que pour une durée limitée, nous avons l'impression de n'être qu'un observateur de passage. Au-delà de cette apparence, la conscience ne vient pas d'ailleurs, l'homme n'est pas un être spirituel en itinérance, mais une partie consciente de l'univers. Il est insensé de croire que nous serions des « étrangers et voyageurs de passage sur la terre [1 Pierre 2:11] », des êtres d'une nature extraterrestre en stage d'épreuve. Les mondes parallèles que certains voient spirituels sont en fait des mondes intérieurs, oniriques, mythiques et imaginaires qui se modulent en d'infinies variations subjectives. Le corps et l'âme sont deux aspects d'une même réalité, comme les faces avant et arrière d’un objet. La nature qui a accouché de l'homme, des sociétés et de leurs cultures, est bien plus riche et complexe que l'être humain.

La sélection naturelle a favorisé notre attachement à la survie. Par fantasme, notre vie se voudrait immortelle. Les religions ont été construites pour étayer cette espérance irréaliste. Ni la Terre, ni le Soleil, rien n'est éternel. L'immortalité, située hors de l'univers dans lequel nous vivons, ne nous concerne pas. Survivre dans un monde spirituel signifie vivre dans l'imaginaire. Si l'univers n'est pas enchanté, rien ne s'oppose à ce que nous le percevions comme enchanteur et en soyons émerveillé.

Le monisme parcimonieux

Le réel possède une profonde unité. Ceux aiment classer ce qu'ils rencontrent dans des tiroirs étiquetés vont dire qu'il s'agit d'une forme de matérialisme philosophique, mais pour décrire un monisme fondé sur le principe de parcimonie, l'expression « monisme parcimonieux » est plus judicieuse. Ce point de vue offre l'avantage d'ouvrir à la science l'étude des interactions entre le corps et l'esprit. Par exemple, lorsque nous qualifions le software d'immatériel, nous devons nous souvenir que l'information est inscrite dans la matière et opère dans le monde physique. Factice, l'opposition entre le matériel et le spirituel est néfaste à une juste compréhension de l'univers dans lequel nous évoluons.

La religion, la damnation et la Rédemption

Puisque nous n'avons aucune preuve crédible que l'une au moins des religions est vraie, c'est que, très probablement, aucune n'est vraie. Des éléments non établis ne peuvent servir à fonder une règle de vie. Là où l'agnostique, évitant de porter un jugement, dit « Je ne suis pas croyant parce que je ne sais pas que croire », l'athée est plus catégorique : « Rien plutôt que n'importe quoi », c'est-à-dire « Je ne suis pas croyant parce qu'aucun courant religieux est suffisamment crédible pour mériter l'adhésion, ce qui fait que je les rejette tous ». N'est-il pas vain de chercher le bonheur à un endroit où il ne peut pas être ? La croyance est un mode particulier de fonctionnement mental dont la fonction est, comme la psychose, d'échapper au réel. Outre son rôle dans la lutte pour le pouvoir, la religion est une thérapie archaïque destinée à soulager les personnes chez qui les questions existentielles engendrent des troubles de l'émotivité. « À priori, tu es damné, mais la religion peut te sauver ; voilà qui donne un sens à ta vie. » C'est un procédé aberrant que d'apporter du réconfort au moyen d'une échappatoire à un décret de damnation. Ne vaut-il pas mieux observer que la dite damnation est un mythe cauchemardesque sans rapport avec la réalité ? Nous ne sommes pas damnés, mais mortels. C'est une dérive que de dévaloriser notre vie au profit d'un ailleurs mythique. Nos préoccupations sont mieux investies dans l'« ici maintenant ». Devenir athée est un moyen de se soustraire aux chantages religieux à propos de ce qui se passerait après notre mort. Si l'idéologie religieuse peut faire du bien à certaines personnes, elle a des effets dévastateurs sur d'autres. De même qu'on n'administre pas un médicament à une personne saine, un homme qui a établi sa paix intérieure n'a nul besoin de s'engager religieusement. Certes, les mythes sont une source intarissable de culture, d'inspiration et de réflexions, mais il n'est pas raisonnable de s'impliquer dans un mythe particulier au point d'en faire un Absolu. L'obsession religieuse relève d'une pathologie, quand bien même elle ait été culturellement et socialement valorisée et soit encore répandue. C'est une caractéristique de l'enfance que la confusion entre les mondes réel et imaginaire. Aux personnes dépendantes de la religion, une spiritualité de substitution leur sera prescrite à la fin de la troisième partie : Les Adeptes de Terminus.

Par ailleurs, trop de croyants tiennent absolument à faire profiter les autres des « bienfaits » de la religion. L'enseignement de la religion doit se limiter aux faits religieux, sans esprit partisan.

On ne peut pas laisser un mythe dicter notre conduite

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, car il n'y en a pas d'autres. Mais nous pouvons, dans une certaine mesure, choisir notre avenir. L'athéisme n'est pas une croyance, mais un choix raisonné où l'utopie de la foi est dépassée par la liberté. A défaut d'être les enfants de Dieu, nous sommes issus de poussières d'étoiles. Un principe organisateur existe : ce sont les lois de la nature. En affirmant que l'homme est un être naturel, on positionne en terrain fertile la recherche sur l'être humain. Malgré les progrès spectaculaires de la biologie, notre compréhension de la vie demeure superficielle. Quant à l'explication des facultés intellectuelles, nous n'en sommes encore qu'aux prémices. Tandis que le spiritualisme est figé, donc stérile, la science a pour but d'expliquer pourquoi et comment l'ordre et la régularité surgissent du chaos. Certaines questions fondamentales, comme l'origine de l'univers, sont pour l'instant hors de portée des connaissances humaines. Le réel recèle encore bien des mystères, mais nous ne disposons d'aucune autre voie crédible, d'aucun raccourci magique, d'aucune révélation divine.

Pour aller loin, il faut avancer longtemps dans la même direction. Comment choisir son cap et le tenir ? L’unique boussole fiable est le rationalisme qui n'est pas une doctrine, mais une attitude intellectuelle, une manière d'appréhender les problèmes. On peut apprécier les effets de cette méthode dans le choix des arguments et l'articulation logique du discours : s'en tenir aux faits et exercer une critique systématique de tout argument d'autorité ou transmis par une tradition. Au-delà de nos connaissances ne se trouve que l'ignorance. Les hypothèses supplémentaires ne sont que des complications arbitraires qui alimentent de vaines querelles. On ne peut pas laisser un mythe dicter notre conduite. Pour une meilleure adéquation à la condition humaine, remplaçons la prétendue quiétude de la certitude religieuse par la jubilation d'explorer l'inconnu.

En s'adonnant aux arts, on peut humaniser, enrichir, poétiser le réel, et ainsi accéder à l'émerveillement.

Cet article a été publié par la presse papier dans

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