Dieu est-il bon?
Première partie: Quel Dieu ?

Marcel Délèze

Texte paru dans la Tribune des Athées 2023/1

Pour répondre à l’affirmation des croyants «Dieu est bon», j’ai écrit une suite de trois articles dont voici le premier.

La nature divine

Entre le Dieu des chrétiens, l'Être suprême des philosophes et l'être mythologique fictif, il y a de la place pour une infinité de représentations possibles. Réduire Dieu à une alternative – existence ou non existence – est une simplification abusive destinée à cacher la question sous-jacente de la nature divine. Cependant, avant de donner un visage à Dieu, il est impossible d'ignorer l'existence du malheur et du mal, sans quoi on tomberait dans une escroquerie intellectuelle.

Malheurs, souffrances, arbitraire, imperfections et fêlures

Pourquoi Dieu crée-t-il des handicapés de naissance ?

Pourquoi Dieu a-t-il créé les maladies ?

Pourquoi Dieu laisse-t-il la souffrance se développer au-delà de l'utilité biologique ?

Pourquoi certaines personnes sont-elles condamnées au malheur durant toute leur vie ?

Pourquoi Dieu a-t-il créé les catastrophes naturelles ?

Pourquoi Dieu a-t-il créé la dépendance à la drogue ?

Pourquoi Dieu soumet-il à la tentation de la drogue certaines personnes plus que d'autres ?

Bref, l'existence d'un Dieu unique prouve que le Bien engendre le Mal, mais il est difficile d'accepter que les malheurs, les imperfections et l'arbitraire découlent d'une volonté divine délibérée.

À quelle image de Dieu accorder sa confiance ?

L'homme répugne à considérer de la malveillance dans Dieu et ses œuvres. Les croyants envisagent prioritairement un Dieu d'amour. Cependant, il faut bien tenir compte de l'existence du mal, du malheur et de la souffrance, et, si on tient à la toute puissance divine, on ne peut éviter d'adjoindre, en guise de bémol, l'un au moins des correctifs suivants :

  • [le Dieu justicier] Dieu est bon, mais il n'accepte, dans son cercle d'amis, que ceux qui manifestent beaucoup de courage ; la vie sur terre est une sorte d'examen de passage qu'il faut réussir pour être sauvé ; il consigne scrupuleusement, dans sa mémoire infinie, toutes nos bonnes actions et toutes nos turpitudes pour en dresser un bilan ; les recalés à l'examen iront en enfer où ils seront sévèrement châtiés pour l'éternité ; « Dieu vomit les tièdes » Apocalypse 3:16 ; mais alors, pourquoi les avoir créés si faibles ?
  • [le Dieu mystérieux et obscur] Dieu est bon, mais les voies du Seigneur sont impénétrables ; croire en Dieu exige l'acceptation de nombreux mystères ; la foi est confiance aveugle ; l'existence du mal est qualifiée de « mystère » ; non seulement l'explication est creuse, mais il faut de plus laisser des contradictions devenir partie intégrante de la vision du monde ;
  • [le Dieu doloriste] Jésus Christ a souffert sur la croix ; Dieu est bon, mais il est utile que l'homme souffre, car la douleur est expiatoire et fait partie du chemin vers le salut ; le mérite se mijote dans la souffrance transformée en offrande ;
  • [le Dieu temporairement arbitraire] Certains humains ont droit à une vie de conte de fées, tandis que d'autres n'ont droit qu'à un malheur permanent ; mais ce ne sont là que broutilles passagères, car un rattrapage est prévu dans l'au-delà ;
  • [le Dieu qui délègue] Dieu a créé des êtres bienfaisants - les anges – des êtres malfaisants - les démons – et des êtres influençables – les humains - qu'il laisse agir ; il reprendra la main plus tard, après le Jugement dernier ; en attendant, il observe le spectacle qu'il a créé pour sa plus grande gloire ;
  • [le Dieu indifférent] Dieu est tout puissant, mais il n'est ni bon, ni mauvais ; il ne se préoccupe pas des humains qu'il a abandonné à leur sort ; il plane bien au-dessus de tous ces détails ;
  • [le Dieu des lacunes] Dieu est invoqué pour pallier une explication manquante. Dieu est l'artisan de tout ce que nous ne comprenons pas ;
  • [le Grand Planificateur] décide où et quand apparaîtront le prochain tremblement de terre, la prochaine épidémie Ebola, l'accident dont sera victime l'un de vos proches, etc. Je ne vois pas en quoi ce genre de croyance me réconforterait ;
  • [le Dieu tyrannique] Si tu es un bon chrétien, Dieu te gratifiera d'un bonheur éternel ; sinon, tu seras puni par des tourments sans fin. Alors que le chantage affectif est jugé indigne d'une mère, le procédé divin d'intimidation est bien pire ;
  • [le Dieu mythique] Dieu n'existe pas, ou Il n'est que force impersonnelle et aveugle.

D'une part, la liste n'est pas exhaustive. D'autre part, étant donné que ces différents visages de Dieu ne sont pas tous incompatibles entre eux, il est possible de cumuler plusieurs explications. On se rend compte qu'il ne s'agit pas simplement de savoir si un Créateur existe, mais de comprendre ce qui se cache derrière le vocable « Dieu ».

Pour faire son choix, l'être humain ne peut qu'analyser la cohérence du discours et son adéquation au réel. Puisque nul ne peut se prononcer sur la nature divine, l'homme raisonnable et prudent devrait pour le moins réserver son engagement et se déclarer agnostique.

Le mal est-il un sous-produit de la liberté ?

Selon un point de vue plus personnel, seule la dernière explication [le Dieu mythique] tient la route, car les autres cadrent mal avec notre besoin de justice. Au jeu de la vie, j'ai eu beaucoup de chance d'être né en Europe et en bonne santé. D'autres, moins chanceux, sont nés handicapés et invalides dans un bidonville du Bangladesh. Comment peut-on se satisfaire de l'explication chrétienne selon laquelle le mal est un sous-produit de la liberté ?

  • Pour les maux qui dépendent de l'homme et qui sont expliqués par les tentations auxquelles il est constamment exposé, il est douteux qu'un Père prévenant ait volontairement créé de graves dangers afin que son enfant ait le choix d'y succomber. Pour celui qui sait d'avance ce qui va se passer, cela ressemblerait plus à un traquenard qu'à un geste d'amour. Et si l'homme n'est pas aussi bon que souhaitable, c'est parce qu'il a été créé tel.
  • Les catastrophes, les maladies et les épreuves ne sont pas toutes imputables à l'homme. La nature est souvent injuste, parfois même cruelle. Pour expliquer les malheurs qui s'abattent sur l'humanité, le mythe du péché originel décrit une punition collective et transgénérationnelle, ce qui est une justification imbuvable. Dieu aurait-il délibérément souhaité que tel enfant naisse tétraplégique ? Concevoir un Être infiniment bon, dont les manifestations sont visiblement arbitraires, est une offense à la justice et à la raison.

Il ne s'agit pas de mettre Dieu en accusation, mais de tester la cohérence ou l'incohérence de l'enseignement des Églises afin d'estimer le degré de confiance qu'on peut accorder aux religions chrétiennes. Une lacune des monothéismes est de faire de Dieu le créateur du pire comme du meilleur. Comment concilier la croyance en un Dieu infiniment bon et les horreurs qui ne proviennent pas de l'homme ? Les catastrophes naturelles sont-elles des châtiments divins ? Les victimes ont-elles été informées des motifs de leur disgrâce ?

Sans l'imperfection, la perfection est incomplète

Dieu ressentit l'insuffisance de sa perfection. Pour rompre son ennui, il décida de créer un monde imparfait.

Le résultat fut à la hauteur du Tout-Puissant. Depuis lors, chaque jour vient apporter son lot de surprises et d'étonnements dont le récit peut se faire à la manière du téléjournal quotidien : une guerre par ci, un tremblement de terre par là, un attentat, une épidémie, et ainsi de suite.

Ainsi, Dieu a surmonté l'insatisfaction de sa perfection et ne s'ennuie plus ... à moins que le récit précédent soit d'une absurdité telle que la seule voie de sortie est d'admettre qu'un tel Dieu ne peut pas exister.

À suivre dans les prochains numéros «Dieu est-il bon avec les vivants», «Dieu sera-t-il bon avec les morts ?».

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