Points de vue d'invités

Réflexions

de Giancarlo Roversi

Remplacer l'expression «chercher le sens de la vie» par «construire un sens»

S'il faut chercher ou construire ou développer etc un sens à la vie, c'est parce que la vie n'a pas de sens tout court. L'homme a peur d'admettre qu'il est chimie (problème de la souffrance) ou plus ou moins une machine (confusion entre humain et naturel, un exclu l'autre dans la tête des gens). Leonard Cohen dans un poème disait : «Lord make me a happy animal», fais de moi un animal heureux. Le bonheur, semble-t-il dire, n'est pas compatible avec la culture ou religion, mais avec l'animalité. Dès que l'homme commence à réfléchir, il n'est plus purement dans la biologie, mais dans la philosophie, littérature, théologie ou religion. Le fait d'avoir physiquement mal n'est pas un problème théologique mais uniquement biologique. Donc comment expliquer la souffrance «au delà de l'utilité biologique», comme tu as écrit ? La souffrance signale une anomalie physique qui continue tant que l'anomalie n'est pas absorbée. La souffrance n'est pas une punition divine mais une alerte physique, un réflexe comme quoi quelque chose ne marche pas (machine). La souffrance ne sert à rien (sauf aux caisses-maladie). La souffrance et la mort c'est le prix de la vie.

De nouvelles religions ont remplacé Dieu

Mais le vrai enjeu aujourd'hui ce n'est pas le cléricalisme et l'endoctrinement de l'Eglise. (Un lecteur dans le Forum a essayé de te le dire). Le vrai enjeu c'est, vouloir ou non, la christianisation de la société avec d'autres visages sans qu'on s'en aperçoive. C'est une fausse idée et un faux espoir de proclamer la déchristianisation de la société occidentale. On a décléricalisé la société, pas déchristianisé. La société se christianise en s'humanisant, en créant le Bien Absolu. On a sacralisé des concepts simplistes et binaires. La compétition pour le Bien en est ainsi saturée. Elle passe par la morale, le pacifisme, l'universalisme, l'humanisme, le progressisme, la globalisation, l'égalitarisme, un monde de confiance et d'amour, égal et stérile, vierge de toute haine et de toute violence d'où la réalité pas gentille est bannie. On y supprime les mots qui fâchent, les différences et les puissants. On y désarme les policiers. On ne punit personne. On ne laisse personne sur le bord du chemin. Tout n'est qu'embrassade. La feuille de route est claire : dramatiser tout propos, piéger tout débat, rendre chaque phrase délictueuse, finir pour faire de la réalité une donnée secondaire. Cette "christianisation" envahit tous les domaines de la sphère humaine, la morale, l'esthétique, la culture, la politique, la finance etc… Le relativisme n'est pas moral mais culturel. Il y a un glissement de l'anthropologie vers l'éthique. Et ce glissement va main dans la main avec une société du bien-être. Plus on est dans le luxe, plus on devient éthiquement correct!! Plus on est dans le luxe, plus on devient humaniste, et plus chrétien. Nos valeurs humaines (chrétiennes) tant vantées ne sont pas inhérentes à l'humanité (éthique) mais associées à une forme particulière de survie appelée société (ethnologie). L'homme occidental ne doit plus lutter pour la survie, il s'invente une morale inhérente à l'humanité. On est en train de christianiser les animaux aussi aujourd'hui dans notre société opulente en leur donnant les mêmes droits à la vie et aussi à la souffrance des humains. Le vrai enjeu aujourd'hui c'est une victimisation de la société contemporaine et c'est n'est pas de la faute de l'Eglise (qui rigole) mais une construction des psychologues et pire des psychiatres. Ils ont inventé la victime et les droits de la victime. On vit dans l'empire du traumatisme.

Les psychiatres nous disent (et ils sont écoutés) que la souffrance n'est pas normale et naturelle, elle donne des droits (et bien sûr la récompense-argent). Si l'on souffre, c'est de la faute des autres et de la nature; la nature est injuste et méchante. N'est-ce pas ceci une nouvelle religion? La psychologie et la psychiatrie ont même remplacé Dieu par un autre Dieu: l'Autre avec sa souffrance. L'écologie aussi est une nouvelle religion. Elle est arrivée à séparer l'homme de la nature. Il y a l'homme pollueur, destructeur, inconscient, égoïste et il y a la nature immaculée innocente comme Dieu nous l'a donnée. (!!!) Les écologistes sont en train d'endoctriner tout le monde avec une conception de la nature qui remonte au XVI siècle. Ils sont même arrivés à sacraliser la nature. En dogmatisme les écologistes actuellement font mieux que l'Eglise. Ce que l'Eglise n'arrive plus à bien faire, c'est-à-dire, culpabiliser et traumatiser les gens, l'écologie y arrive à merveille et c'est cool et moderne.

Le piège du langage

Ce que nous entendons par vérité et réalité est constitué par notre manière d'utiliser les mots dans la vie courante. La "vérité" et la "réalité" sont constituées par nos jeux de langage. Le monde et la pensée sont mesurés par le langage et ses limites. Toute signification est produite en suivant les règles d'un jeu de langage. Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde. Wittgenstein a défendu l'idée que les problèmes philosophiques (et théologiques) disparaissent une fois déjoués, rhétoriquement et logiquement, le piège des mots. Le langage est inadéquat pour dire quelque chose de vrai sur le monde. Au silence de Dieu, il faut faire correspondre le silence sur Dieu. Je fais exister les choses en parlant d'elle. Notre civilisation chrétienne (même chose pour les autres religions) est inévitablement bâtie sur le langage qui a piégé notre façon de penser le monde et Dieu. Notre pensée occidentale est prisonnière du dualisme, de la tautologie (Dieu existe parce qu'il est Dieu), l'allégorie, la similitude, la périphrase, la métaphore, la parabole, l'oxymore, le pléonasme, l'axiome, le cliché, les lieux communs, le mythe, la légende, la fabulation, l'hyperbole, le symbolisme, etc. La traduction de l'hébreu et du grec des Textes Bibliques en latin est une catastrophe, les mots changent de signification et donnent des interprétations incompréhensibles voire parfois loufoques. Régis Debray disait que les Textes Bibliques plus qu'une révélation sont des dossiers cliniques. (Une lecture à déconseiller aux mineurs!!) A ce niveau-là, les Textes Bibliques deviennent compréhensibles.

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