3. Réfutation du pari de Pascal
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Le pari de Pascal
Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter.
Enseignement du pari de PascalIl est légitime de mettre le pari de Pascal au programme des écoles. Mais il arrive que certains enseignants, peu respectueux de laïcité, développent ce thème au-delà de ce qu'exige la culture pour en faire un outil missionnaire, le but étant de préparer les élèves à accueillir la foi. Lorsque l'idéologie l'emporte sur le sens critique, l'élève et ses parents doivent en être informés et apporter leur consentement. Pour éviter le parti-pris et faire contrepoids, d’autres points de vue doivent aussi être présentés. Le raisonnement du pari de Pascal est circulaireAdmettons temporairement la valeur d'une chance sur deux pour la probabilité que Dieu existe. Si cela est, on gagne la vie éternelle au Paradis, et le gain est infini. Dans le cas contraire, on ne perd rien. Le choix semble facile à faire. Il faut cependant se méfier des hypothèses cachées. D'abord, dans l'objet du pari, il n'y a pas que l'existence de Dieu, mais aussi que la religion catholique serait vraie et que la pratique religieuse conduirait au Paradis. Ensuite, il est prudent d'examiner ce que recouvre le terme « infini ». En mathématiques, l’infini apparaît comme limite de suites. Considérons par exemple la suite ainsi suggérée :
Or, les ressources terrestres sont limitées. Pour prononcer le « ainsi de suite », il faut admettre que le surnaturel existe. Autrement dit, en parlant de gain infini, Pascal suppose implicitement l’existence de Dieu, ce qui constitue un cercle vicieux, un raisonnement circulaire. Formulation généralisée du pari de PascalInitialement, le pari de Pascal est censé soutenir la foi catholique. Mais son élément central - la possibilité d'un gain gigantesque - n'a rien de spécifiquement chrétien et peut être adapté à n'importe quelle affirmation qui promet beaucoup. Sa polyvalence permet d'en exploiter le principe bien au-delà du domaine religieux. Sa formulation généralisée s'énonce : « Plus la promesse est merveilleuse, plus il est fondé de miser sur elle ». Variations sur le pari de PascalUne publicité nous sollicite : « Si vous achetez ce produit, vous serez plus heureux. Si vous y renoncez, vous vous privez d'un grand service. Pesez le pour et le contre, et n'hésitez pas à l'acquérir ! » Un politicien harangue : « Je vais améliorer l'avenir de la société, et vous pourrez en profiter à votre aise. Il vaut la peine de miser sur moi : je compte sur votre vote ! » Un guérisseur qui demande d'avoir foi en ses pouvoirs : « Si tu me fais confiance, ta maladie disparaîtra et tu pourras vivre encore longtemps. Pourquoi ne pas essayer puisqu'il y a tant à gagner ? » Le prêtre chrétien qui parle au nom de Jésus : « Si tu me suis, tu seras récompensé par un bonheur éternel. Deviens mon disciple, et ton gain sera infini ! » Au-delà du charlatanismeUne hypothèse non vérifiée est généralement une hypothèse dont la confirmation ou la réfutation est reportée dans le futur. Par contre, une hypothèse invérifiable perd son statut d'hypothèse pour devenir une fable. Le principe du pari de Pascal endort les crédules par le réconfort immédiat procuré par l'espérance d'un gain miraculeux. Le bonimenteur est indifférent au vrai et au faux, car il ne se soucie que de plaire, pour son plus grand avantage. Alors que les promesses des charlatans peuvent être invalidées par l'absence des résultats attendus, celles des propagandistes religieux sont absolument invérifiables, ce qui les situe au-delà du charlatanisme. Pour les amateurs d'espérance mathématiqueDans le contexte du pari de Pascal, la mise, qui est l'engagement chrétien, est fixée, ou tout au moins plafonnée. Dans ce qui suit, nous la supposons constante. Il reste deux variables : le gain et la probabilité de gain. Dans tous les jeux de hasard, plus vous visez un gain élevé, plus la probabilité de gagner diminue. Par exemple, en misant 1 €, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000 € avec une probabilité de 1/1000 ; dans un autre jeu, en misant 1 €, il est équitable de pouvoir gagner 1’000’000 € avec une probabilité de 1/1’000’000. Dans ce contexte, on peut affirmer que, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0. Que se passe-t-il si l'espérance mathématique E du jeu est non nulle ? La formule à considérer est la suivante (la justification est donnée plus bas, sous Aspects mathématiques) : \[ p = \frac{E+mise}{gain} \]Alors que les joueurs auxquels s'adresse le pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Mais cela ne change rien : même si E vaut un milliard, lorsque le gain tend vers l'infini, la probabilité de gagner tend vers 0. Si la probabilité de gagner est positive, faire tendre le gain vers l'infini équivaut à admettre le surnaturel. Mais on ne peut pas en faire l'hypothèse puisque c'est précisément ce que l'on veut prouver. Dans le cadre des jeux de hasard, les deux assertions « le gain est infini » et « la probabilité de gagner est un réel positif » sont incompatibles. On peut maintenant corriger le principe énoncé plus haut : « Plus la promesse est merveilleuse, moins elle est probable. Et, à la limite, elle est invraisemblable. » En faisant appel à la conclusion de Objection à propos de la probabilité de l’existence de Dieu, \[ E = -mise + \underbrace{\overbrace{gain}^{\to \infty} \cdot \overbrace{p}^{\to 0}}_{\text{indéterminé}} \]Nous nous trouvons face à une indétermination du type « l'infini fois zéro ». Ainsi le raisonnement mathématique aboutit à une impasse, et les conclusions qu'en a tirées Pascal sont infondées. Aspects mathématiques du pari de PascalLe pari de Pascal tire ses arguments du cadre des jeux de hasard. Le modèle mathématique de la théorie des jeuxBeaucoup de commentateurs contemporains formalisent le pari de Pascal avec la théorie des jeux dont les fondements ont été décrits vers les années 1920 par Ernst Zermelo, puis développés par Oskar Morgenstern et John von Neumann en 1944. Comme Pascal est décédé en 1662, c’est un anachronisme d’interpréter le pari de Pascal au moyen de la théorie des jeux, et le risque est grand de trahir sa pensée. Par ailleurs, l’infini est traité comme une entité, ce qui pose des problèmes de réalisme dont nous reparlerons. Le modèle mathématique de HuygensLa première personne à poursuivre avec succès les travaux de Pascal sur les jeux de hasard a été le mathématicien et physicien hollandais Christiaan Huygens. Durant la période 1655‑1657, alors que Pascal vivait encore, il généralise la méthode de Pascal au cas où les probabilités de transition sont inégalement réparties. Il est aussi le premier à utiliser le terme d'espérance (Hoffnung). C’est cette manière historique de formaliser le pari de Pascal qui est la plus pertinente et qui a été retenue. En ce qui concerne l’infini, il ne sera pas traité comme une entité, mais comme une limite. Un exemple de jeu : le plein à la roulette![]() La roulette comporte 37 cases numérotées de 0 à 36. Jouer « le plein » consiste à placer la mise, notée m, sur un seule case. Si le numéro choisi sort, le joueur gagne 36 fois la mise ; il s’agit du gain brut duquel on doit encore déduire la mise pour obtenir le gain net. Dans notre modèle, nous ne tenons pas compte de ce que le joueur laisse habituellement pour le personnel du casino. La variable aléatoire du gain net est \[ \small \begin{equation*} \left\{ \begin{array}{ccc} −m + 36m = 35m & \text{ avec une prob. de } & 1/37\\ -m & \text{ avec une prob. de } & 36/37 \end{array} \right. \end{equation*} \]L’espérance du gain net est \[ \begin{equation*} \begin{aligned} E &= 35 m \cdot \frac{1}{37} + (−m) \cdot \frac{36}{37} \\ &= (-\frac{1}{37}) \cdot m \end{aligned} \end{equation*} \]Cela signifie que, sur un grand nombre de parties, le joueur perd en moyenne 1/37 de ses mises au profit du casino. C’est un jeu à espérance négative. La formule de l’espérance mathématiquePour généraliser, considérons un jeu de hasard dans lequel, pour une mise m, on peut gagner un gain g avec une probabilité p. La variable aléatoire du gain net est \[ \begin{equation*} \left\{ \begin{array}{ccc} -m + g & \text{ avec une prob. de } & p\\ -m & \text{ avec une prob. de } & 1-p \end{array} \right. \end{equation*} \]L’espérance du gain net est \[ \begin{align} E &= (-m+g) \cdot p + (−m) \cdot (1-p) \\ &= -m + g \cdot p \end{align} \]Retenons \[ E = -m + g \cdot p \]De cette dernière formule est tirée l’expression de la probabilité : \[ p = \frac{E+m}{g} \qquad \text{ où } \quad g>0 \]Les conditions 0 ≤ p ≤ 1 entraînent que 0 ≤ (E+m) ≤ g Cas des jeux équitablesDans le cas où l’espérance est nulle, on dit que le jeu est équitable. La probabilité de gagner est alors p = m/g. Par exemple, en misant 1 €, c'est un jeu équitable de pouvoir gagner 1000 € avec une probabilité de 1/1000 ; dans un autre jeu, en misant 1 €, il est équitable de pouvoir gagner 1'000'000 € avec une probabilité de 1/1'000'000. Lorsque le gain est énorme, la probabilité de gagner est infime. À mise constante, si le gain tend vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0 : \[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{m}{g} = 0\]Cas des jeux dont l’espérance est grandeSi l’espérance est positive, il est nécessaire qu’un sponsor généreux participe à fonds perdus au financement des gains. Alors que les joueurs auxquels s'adresse le Pari s'attendent à une espérance mathématique proche de zéro, c'est-à-dire à un jeu pas trop biaisé, les croyants imaginent une espérance immense. Supposons par exemple que E vaille un milliard de fois la mise. Comme (E+m) est constant, la probabilité limite reste nulle : \[ p = \lim_{g\to\infty} \frac{E+m}{g} = 0\]c’est-à-dire à mise constante, si grande que soit l’espérance mathématique, lorsqu’on fait tendre le gain vers l’infini, la probabilité de gagner tend vers 0. Pour s’en convaincre, considérons la suite de gains suivante : 10(E+m), 100(E+m), 1000(E+m), 10000(E+m), et ainsi de suite. Les probabilités correspondantes auront pour valeurs :
Pour obtenir ce résultat, il n’est pas nécessaire que l’espérance mathématique soit constante, mais seulement que sa valeur absolue soit majorée, c’est-à-dire qu’il existe un nombre E tel que, pour tous les gains,
Finalement, le pari de Pascal est infondé. Et si la probabilité que Dieu existe était petite, mais positive ?Prenons une Église bien déterminée qui vous propose le salut à la condition de lui verser par exemple 100 € par mois. La probabilité que ce soit vrai est petite, mais on peut avoir un doute et juger que cette probabilité n’est pas nulle. Si vous n’effectuez pas les versements, c’est que vous ne soutenez pas jusqu’au bout l’idée de tenir compte des événements de faible probabilité. Pour quelle raison ? Vraisemblablement parce qu’il est impossible de tenir compte de tout ce qui serait éventuellement possible. On doit décider de ce qui est sérieux et crédible, et rejeter tout le reste. C’est l’état d’esprit qui prévaut pour appliquer le rasoir d’Ockham. Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que, pour celui qui ne croit en aucune forme de survie, le pari de Pascal est sans objet. Et si, avec g tendant vers l’infini, E tendait aussi vers l’infini ?
Et si la probabilité d’obtenir un gain infini tendait vers un réel positif fixé ?
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