La logique religieuseExtrait du livre : Marcel Délèze
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L’attachement à la foiLa religion n’est pas une liste d’assertions logiques, mais une expérience de vie située dans le champ émotionnel. Même s'ils sont convaincants d'un point de vue rationnel, il y a quelque chose que les athées ne comprennent pas dans la religion et dans l'attachement des croyants à leur foi parce qu'ils n'ont pas vécu une aventure religieuse.
L'attachement à la religion est assez naturel. En effet, l'être humain ne se soucie pas prioritairement de la vérité, car il demande d'abord à être rassuré. À l'épouvantail du Jugement dernier, une parade doit être construite. Le désir de croire se forme souvent dans l'enfance, puis s'investit dans la foi. Il est assez normal que, dans un premier mouvement, l'instinct de survie et l'attachement aux disparus passent avant le souci d'objectivité à placer dans la réflexion. Mais, la religion nous faisant sortir du réel, il est raisonnable de dépasser cette réaction spontanée qui vire au fantasme. Donner la préséance au désir est une forme d'orgueil à laquelle un adulte lucide devrait renoncer. Le tragique de l'existence peut se manifester d’une autre manière, par exemple dans les arts. Celui à qui on a inculqué une image positive de la religion aura tendance à la regarder avec bienveillance. Par contre, une représentation négative de la religion pousse à s’en éloigner. Pour se distancier de la religion, une motivation forte doit être présente dès le départ, sans quoi rien ne bougera. Celui qui n'a pas de problème n'a pas envie de changer. Ou alors, c'est le contraire : celui qui veut éviter de se remettre en question déclare qu'il n'a pas de problème. Il est plus gratifiant d'être conforté dans ses croyances que déstabilisé. Aucun argument rationnel n'ôtera la foi d'un croyant convaincu. Beaucoup de gens se rendent compte que la religion présente des éléments inacceptables. La ligne de démarcation consiste en ceci : ceux dont l'esprit fonctionne sur un mode religieux en concluent que la religion doit être réformée, mais conservée ; les autres y voient la nécessité d'abandonner la religion. Cela dépend donc de la faculté de s'accommoder d'une religion boiteuse dont certains éléments gênants sont délibérément occultés. Au départ de la volonté de se distancier de la religion, il y a un état d'insatisfaction, ou la sensation d'être sous le poids d'une oppression, ou une blessure intime. Ce peut être l'absence d'émotion religieuse ou une expérience douloureuse : un deuil, un long séjour dans une communauté fermée, ou quelque autre traumatisme. Ce peut être la terreur suscitée par le Jugement dernier et la recherche de moyens d’apaiser la peur. Ce peut aussi être le poids d’un endoctrinement non souhaité ou le refus de la contrainte sociale ou encore une réflexion rationnelle qui exclut l’hypothèse religieuse comme plausible. Le sentiment religieuxÀ propos des contradictions entre la Bible et la science sur certains thèmes comme la genèse de l’univers et l’apparition des humains sur la terre : […] la science et la foi sont deux démarches différentes et complémentaires […] Les Écritures […] expriment le sens surnaturel de la réalité (le « pour-quoi ») échappant à la science qui dit le « comment » des choses. L’un n’exclut pas l’autre. L’un complète l’autre.
Cette déclaration dont l’irrationalité est choquante prétend que l’on peut vivre avec deux conceptions contradictoires qui peuvent cohabiter sans problème puisqu’on peut les ranger dans deux tiroirs différents. On exige d’une théorie scientifique qu’elle soit non contradictoire, mais chaque personne est remplie de contradictions et d’ambiguïtés, y compris les hommes de science. Comme il s’agit d’un fait sociologique incontournable, il est avisé d’étudier dans quelles eaux baignent les religions. Le rationnel a besoin de s’ancrer dans l’émotionnel pour faire partie de la vie. Il est malheureusement possible de détester quelque chose de vrai et d’aimer quelque chose de faux. Comme le rationnel et l’émotionnel se chevauchent et se mélangent, l’être humain a de la difficulté à les séparer. Si les mythes jouent un grand rôle social, ce n’est pas parce qu’ils prétendent décrire la vérité historique, mais parce qu’ils font vibrer les cordes émotionnelles. Ils ne s’adressent pas à la raison, mais à la sensibilité. Qui n’a jamais pensé « Cela me semble invraisemblable, mais ça me plaît » ? C’est ainsi que la religion parvient à se faire aimer. Lorsqu’on creuse le sujet, on tombe inévitablement sur la question de la nature humaine. Le ressenti dirige le rationnel. Le critère n’est plus « vrai ou faux » mais « j’aime ou je déteste ». Essayons de décrire le bien nommé sentiment religieux. Le discours des religieux distingue « la connaissance du pourquoi » qui vient de Dieu de « la connaissance du comment » qui vient des sciences, cette deuxième étant par nature inférieure. La « connaissance du pourquoi » est initiée par des coups de cœur du type « J’aime l’idée de Dieu, car il est rassurant d’ imaginer quelqu’un qui s’occupe de moi. J’aime le concept de péché parce qu’il entre en résonance avec le sentiment de culpabilité qui provient de mon sens moral. » Par l’effet de l’esprit grégaire généré par le devoir de loyauté envers le clan, ces sentiments peuvent se rassembler et gonfler pour constituer une religion. Sous l’influence de prédicateurs imaginatifs, le croyant se met à dialoguer avec des fantômes intérieurs : Dieu le père, Jésus Christ, la Vierge Marie, les anges gardiens, les saints, les défunts, les esprits, etc. Qu’est-ce que la foi sinon l’adhésion à quelque chose de situé au-delà de la raison ? Qu’est-ce l’adhésion sinon un attachement d’ordre affectif ? Qu’est-ce qu’un fidèle sinon un membre loyalement attaché à sa communauté ? Dans la persistance des religions, le rôle des peurs est important : peur de la mort, peur de l’avenir, peur du malheur (guerres, famines, maladies, accidents, catastrophes, …). Pour les conjurer, les religions font appel à des rituels et à la prière. En psychiatrie, il est connu que les rituels ont pour effet de diminuer l'anxiété et de soulager les tensions. Embrigadé dans une communauté, le fidèle se trouve sous emprise. Les peurs et la pression sociale cimentent la communauté. Dans la logique affective, il suffit pour le croyant de déclarer « Ça me déplaît » pour que la question soit réglée. Exprimé d’une autre manière : « L’athéisme me fait horreur. Je n’ai pas envie de vous écouter. » Une explication complémentaire comme « c’est contraire à ma foi » est pour lui rationnelle puisqu’il estime montrer ainsi sa cohérence, alors que c’est en fait une manifestation de son esprit grégaire. Il se sent bien dans cette position et ne voit pas pourquoi en changer. Malgré l’enseignement dispensé dans les écoles, les journaux continuent de publier des rubriques astrologiques. Pourquoi ? Parce que « Même si je n’y crois qu’un peu, j’aime bien la rubrique astrologique ». Les croyances aberrantes n’épargnent pas les personnes qui ont une formation scientifique. Par exemple, certains pharmaciens croient à l’homéopathie, certains médecins croient au secret du sang (il s’agit de personnes qui sont capables de stopper une hémorragie au moyen d’une prière tenue secrète), etc. Dans le conflit permanent qui oppose l’affectif et le rationnel, la raison est généralement subordonnée à l’affectivité. C’est d’ailleurs sur le terrain affectif que les gens se sentent vraiment vivre. L’irrationnel existe, c’est un fait qui doit être accepté même s’il est déplaisant. L’homme n’est pas un ange, mais un animal avec ses émotions et ses tendances claniques. Mettons en concurrence l’explication rationnelle et l’explication affective sur l’exemple suivant : la violente lutte contre la religion qui s’est déroulée durant la Révolution française :
Laquelle des deux explications est la plus convaincante ? Malheureusement, jamais la raison ne gouvernera le monde. Cette affirmation ne relève pas d’une loi de l’histoire, mais de la compréhension de la nature humaine. Les croyants admettent que les religions ne font pas partie des sciences et que leur système de connaissance n’est pas scientifique. C’est une opinion commune que les domaines artistiques, humains et religieux échappent à la science. L’émotion, c’est ce qui fait qu’il existe des amateurs de musique, des fans de foot, des passionnés d’informatique et des activistes religieux. L’intelligence émotionnelle peut être améliorée, mais le champ émotionnel ne peut pas être éliminé. Il faut donc accepter de « faire avec ». Ne pas en tenir compte, c’est comme si, dans un modèle scientifique, on renonçait à faire intervenir un facteur explicatif essentiel. Le rationalisme athéeDans certains romans policiers, il y a un personnage qui explique les évènements par l'action de forces surnaturelles. Mais, à la fin, c'est toujours l'inspecteur qui a raison, car il se fonde sur des arguments rationnels. Malheureusement, dans la société, les inspecteurs sont minoritaires. Affirmer comme Pascal que « L'homme est un roseau pensant » est une erreur patente. Avant d'être rationnel, l'homme est d'abord un être émotionnel. Le rationalisme n'est certainement pas une attitude spontanée. Il ne peut se développer qu'à partir d'une attitude critique mettant à nu les attaches affectives qui sont au fondement des religions. La doctrine du peuple élu est indubitablement un produit de la forme tribale de la société.
C'est pourquoi un parallélisme peut être dressé entre
Dans les deux cas, les mouvements sont les mêmes : des tripes vers le cerveau, d'un mode de penser tribal vers l'universalité et d'un état infantile avide de merveilleux et de surnaturel vers l'âge de raison. Se libérer de l’empriseCe qui précède a d’importantes conséquences sur la lutte contre l’emprise religieuse. Les arguments rationnels ne peuvent pas à eux seuls repousser les religions dans les marges. L’effort principal doit porter sur la dissolution des liens affectifs afin de se mettre à l’abri de l’influence de la communauté qui exerce son emprise. |
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