Quelques manquements de l'Église catholique à la morale laïqueExtrait du livre : Marcel Délèze
|
La moraleDans l’appréciation du comportement humain, après avoir mis en évidence l’égoïsme, on a tendance à sous-estimer l’altruisme. La cohésion des clans familiaux des chasseurs-cueilleurs a été primordiale dans la lutte pour la survie. Dans un milieu hostile, l’individu ne peut pas survivre seul. La coopération et l’entraide apportent des avantages décisifs et l’emportent sur la compétition. Conscient de sa dépendance à la société, l'individu se sent obligé de reporter une partie de ses préoccupations vitales vers le bien commun. Ce comportement moral nécessaire a été sélectionné par l’évolution, s’est bien ancré dans le psychisme et constitue le fondement de la morale. L’homme étant un être à la fois individuel et social, la morale a été acquise afin d’adapter l’individu à la société et augmenter les chances de survie de l’espèce. Il faut cependant noter que la morale spontanée a un biais. L’inclination à l’altruisme est à géométrie variable : forte pour la famille, moyenne pour le clan et plus faible envers les étrangers. C’est pourquoi la culture et l’éducation doivent s’engager fermement pour les droits humains. La morale étant bien plus ancienne que l'Église, celle-ci ne peut pas se prévaloir d'en être la dépositaire. L'Église combat vigoureusement le relativisme, thèse selon laquelle toutes les religions se valent. Pour ce faire, elle aurait dû, en tant qu'institution, se montrer supérieure aux autres religions. Malheureusement, il n'en a rien été. Nous verrons que l'Église n'a jamais respecté les droits humains, ni dans le passé, ni aujourd'hui. Une institution qui, tout au long de son histoire, a bafoué les droits humains ne peut pas être « la » référence morale. Les modestes progrès réalisés ne sont pas venus d'un mouvement propre de l'Église, mais lui ont été arrachés par les exigences de la modernité. On dit que l'histoire est écrite par les vainqueurs. Plus précisément, elle est réécrite par chaque puissance à destination des populations soumises à son influence. Le rôle de l'Église a souvent été présenté avec une bienveillance partisane. Les croyants, généralement peu curieux, sont d'un tel parti-pris qu'ils sont prêts à excuser toutes les turpitudes. Les religions sont toutes exposées aux dérapages car, plutôt que de cultiver la modération, elles incitent à en faire toujours plus, dans une surenchère sans fin, et développent une propension à l'hégémonie. Dieu lui-même ne peut pas modifier le passé ; mais le croyant, par sa capacité à revisiter l'histoire à son avantage, possède un pouvoir qui Lui est infiniment supérieur ! Alors que la religion ne touche que les croyants engagés dans une obédience particulière, la morale concerne tous les êtres humains. Affirmer que l'éthique est, in fine, fondée sur la nature divine de Jésus Christ revient à prétendre que la majorité de l'humanité est dépourvue de morale. Fort heureusement, la morale (au singulier) n'est pas fondée sur les religions (au pluriel). L'Église n'est pas une référence morale crédiblePour régner sur la conscience des individus, les religions se sont arrogé le monopole de la morale. Exigeons au contraire que les religions se subordonnent aux règles morales. Aussi est-il nécessaire de rappeler que la morale exige de rejeter toute religion
Les comportements énumérés ci-dessus ne sont pas imputables à de mauvais chrétiens, mais à l'Église elle-même qui les justifie par l'application des deux règles morales suivantes : a) Pour éviter un mal plus grand, on a le droit de faire du mal ; b) Tout ce qui nuit à l'Église est un mal qui surclasse les autres. Alors que la règle a) est universelle, la règle b) est partisane et divise l'humanité en deux camps. Les mauvaises actions de l'Église sont ainsi moralement légitimées. C'est une position enviable que de fixer les règles : on peut ainsi éviter d'être pris en défaut. Le monopole de la conscience morale met à l'abri de la mauvaise conscience. Le catholicisme distille un mélange toxique : de bons sentiments pour les fidèles et la volonté de puissance pour l'Église. L'institution paraît tellement humaine qu'on ne peut accorder aucun crédit à sa prétention d'être inspirée et guidée par le Saint-Esprit. Celui qui croit en l'origine divine d'un code moral comportant de telles insuffisances témoigne de l'endoctrinement qu'il a subi. Les religions doivent se soumettre à l'éthique laïque qui découle des droits humains. Quand l'Église prêchait la persécutionL'Église des premiers siècles récusait toute forme de violence et interdisait aux premiers chrétiens de porter des armes. Sous l'empereur Constantin (270‑337), lorsqu'un chrétien avait tué un ennemi au combat, il devait faire pénitence pour effacer son péché. Mais les évangiles sont ambigus et contradictoires, donc interprétables à souhait : outre les appels au pardon, on y trouve ceci : «Quant à mes ennemis, qui n'ont pas voulu de moi pour roi, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence.»
En 1095, le pape Urbain II lance la première croisade contre des peuples qui ne représentaient aucune menace, une guerre offensive, une pure agression. A défaut de soulever des montagnes, la foi lève des armées. Rassurez-vous, le revirement était justifié et l'action moralement noble : quelques siècles auparavant, Augustin (354‑430), évêque d’Hippone et père de l'Église, avait sanctifié la « persécution juste » en ajoutant une nouvelle directive à la doctrine : il faut exterminer, par amour, les adorateurs de faux dieux. «Si nous voulons donc être dans le vrai, disons que la persécution exercée par les impies contre l'Église du Christ est injuste, tandis qu'il y a justice dans la persécution infligée aux impies par l'Église de Jésus-Christ. (...) L'Église persécute pour retirer de l'erreur, les impies pour y précipiter. Enfin, l'Église persécute ses ennemis et les poursuit jusqu'à ce qu'elle les ait atteints et défaits dans leur orgueil et leur vanité, afin de les faire jouir du bienfait de la vérité, les impies persécutent en rendant le mal pour le bien, et tandis que nous n'avons en vue que leur salut éternel, eux cherchent à nous enlever notre portion de bonheur sur la terre. Ils respirent tellement le meurtre qu'ils s'ôtent la vie à eux-mêmes, quand ils ne peuvent l'ôter aux autres. L'Église, dans sa charité, travaille à les délivrer de la perdition pour les préserver de la mort ; eux, dans leur rage, cherchent tous les moyens de nous faire périr, et pour assouvir leur besoin de cruauté, ils se tuent eux-mêmes, comme pour ne pas perdre le droit qu'ils croient avoir de tuer les hommes.» Dira-t-on que l'Église a évolué sous l'inspiration de l'Esprit saint ? La conversion des peuples au catholicisme ne fut que rarement adhésion volontaire, car le peuple devrait prendre la religion du prince, et le prince obéissait aux intérêts de sa charge. C'est ainsi que le christianisme s'est durablement installé en Occident. Les religions ont profondément marqué l'histoire. Est-ce pour le bien de l'humanité ? Cela reste à prouver. Le désir de propager la vérité absolue est générateur d’oppression. Peut-on établir que les guerres de religions ont fait moins de victimes que l'ensemble des crimes crapuleux ? Quand l'Église soutenait l'esclavageDans l'Église chrétienne originelle, selon la doctrine de Saint Paul, l'esclavage était accepté comme une pratique naturelle et légitime, mais un chrétien ne devait pas tenir en esclavage un autre chrétien. Plus tard, l'Église a condamné l'esclavage des indiens d'Amérique. Mais son attitude envers la traite des noirs, initialement organisée par les portugais à partir de 1441, a été moins glorieuse : une série de bulles papales l'approuve et l'encourage :
Une justification théologique de l’esclavage a été avancée selon laquelle les enfants de Canaan sont assimilés aux noirs :
«Maudit soit Canaan ! Qu'il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! Il dit aussi : Béni soit Yahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! Que Dieu mette Japhet au large, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit son esclave !».
Le théologien français Bellon de Saint-Quentin, dans sa Dissertation sur la traite et le commerce des Nègres de 1740, écrit : «On peut licitement avoir des esclaves et s'en servir ; cette possession et ce service ne sont ni contraires à la loi naturelle, ni à la loi divine écrite, ni même à la loi de l'Évangile.» Osera-t-on affirmer que l’Église réalise un plan divin ? Le servage est un statut différent, mais traité d'une semblable manière. Malgré la campagne menée par Voltaire, les derniers serfs de France furent ceux de l'abbaye de Saint-Claude (Jura) qui demeurèrent dans leur condition jusqu'à la Révolution de 1789. Ni le temps écoulé, ni l'opération de blanchiment des consciences, fruit de la propagande de l'Église, ne peuvent excuser le passé. Qui a encouragé des régressions morales ne peut détenir la véritéL'histoire retourne un cinglant démenti à la prétention de l'Église d'être dépositaire de la vérité immuable.
«Prenez un bel arbre, son fruit sera beau ; prenez un arbre détestable, son fruit sera détestable, car c'est à son fruit qu'on reconnaît l'arbre.»
Une ligne de défense fait appel à une pédagogie divine qui serait progressive pour adapter les règles morales aux possibilités humaines du temps. D'une part, cette concession remplace l’intervention divine par l’évolution de la société, ce qui permet de comprendre l'Église comme une institution humaine, sans intervention divine explicite. D'autre part, les exemples montrant que l'Église a officiellement prêché des régressions morales prouvent la vacuité de l'argument. Une deuxième ligne de défense recourt à la distinction entre chrétienté et Église. Mais, puisque les plus hautes autorités de l'Église conduisaient la manœuvre, cet argument ne peut pas être invoqué. Conclusion : on ne peut pas faire confiance à l'Église pour la régulation éthique et la conduite morale de la société. Le propos n'est pas de stigmatiser le passé, mais de s'élever contre ceux qui veulent appliquer aujourd'hui une idéologie archaïque, et la pérenniser. Selon Stanley Milgram, « Une part importante de la population fait ce qu'on lui dit de faire [...] tant qu'elle a le sentiment que l'ordre émane d'une autorité légitime ». Aujourd'hui, en cessant en masse d'obéir aux directives romaines, les catholiques occidentaux placent leurs autorités religieuses en situation d'illégitimité. La modernité est apparue avec la fin de la tutelle exercée par les autorités religieusesDans le thomisme, l'éthique est fondée sur le droit naturel, et le droit naturel est renvoyé à l'ordre naturel des choses : chaque individu, le roi comme l'esclave, a une place définie dans la Création. N'est-il pas dans l'ordre naturel des choses que le maître ordonne et que l'esclave obéisse ? Cependant, on trouve dans la nature des situations diverses et contradictoires. Ainsi, le droit naturel n’est pas précisément fixé. C’est donc à l'Autorité doctrinale de décréter la loi naturelle. Ainsi se réalise la volonté de Dieu. Au siècle des Lumières, des philosophes ont dénoncé l'Inquisition et réclamé l'abolition de l'esclavage. Voltaire, Diderot et Condorcet condamnent l'idée qu'un homme puisse appartenir à un autre, que l'esclavage est un statut naturel et soulignent que les hommes sont égaux :
«Les mortels sont égaux, ce n'est pas la naissance
La proclamation des droits humains s'est faite en opposition à l'Église. Placer le christianisme à la source des droits humains est une récupération malhonnête. Les spécificités de la culture occidentale se sont développées à partir du XVIIIe siècle avec la modernité, caractérisée par un certain rationalisme, une insubordination à l'autorité religieuse et par l'ouverture d'un espace laïque. L'idéal d'une société monolithique ayant été abandonné, la coquille est brisée, et de grands horizons s'ouvrent à l'exploration. Les sciences de la nature se sont affranchies de la tutelle exercée par le Saint-Siège et ont pu prendre leur essor. Une nouvelle civilisation émerge dont le principe de fonctionnement est radicalement nouveau : alors qu'une monarchie de droit divin postule que toutes les volontés doivent se plier à celle du roi et que les qualités primordiales des sujets sont l'obéissance et la fidélité, la démocratie valorise l'indépendance d'esprit, y compris en matière religieuse, et part du principe que chaque citoyen peut manifester ses opinions propres. Les valeurs fondatrices sont laïques comme les droits humains, la séparation de l'Église et de l'État, ainsi que la recherche du bien commun en tant que projet politique laïque respectant les minorités. Ses valeurs sont universelles et son rayonnement est mondial. Les individus peuvent échapper à la contrainte sociale et prendre leur indépendance par rapport à la communauté dont ils sont issus, ce que l'on pourrait dénommer « la démocratie spirituelle ». La société est devenue tolérante à la liberté d'expression, ce qui témoigne d'une révolution des mentalités. C'est à cette articulation de l'histoire que se sont implantées nos racines culturelles les plus significatives, même si d'autres, plus anciennes, peuvent être prises en considération. Tous ces développements ont été acquis contre la volonté de l'Église. En retour, celle-ci s'est, dans une certaine mesure, humanisée au contact de la raison. Elle a dû condamner l'esclavage et renoncer à la monarchie de droit divin ainsi qu'au sacre des rois. Elle a résisté jusqu'en 1965 avant d'accepter la liberté religieuse et les droits humains. Mais cette reconnaissance de principe n'est pas effectivement réalisée. Aujourd'hui encore, hommes et femmes n'ont pas les mêmes droits et se voient attribuer des fonctions différentes. Face à leur statut matrimonial, les personnes sont traitées inégalement selon qu'elles sont célibataires, en concubinage, mariées, séparées, divorcées, pacsées ou remariées. Les homosexuels sont discriminés. Par contre, la pédophilie, quoique verbalement condamnée, a été jusqu'ici pratiquement tolérée à la condition d'être discrète. Dans une société pluraliste, la tradition ne suffit plus à asseoir de telles conceptions morales. Une Église fondée sur l'obéissance à l'autorité appartient à un passé révolu. Si les deux références culturelles, judéo-chrétienne d'une part et moderne de l'autre, cohabitent dans notre société, elles ne peuvent coexister à l'intérieur d'un même individu qu'au prix d'un certain trouble dissociatif de l'identité. Une évolution radicale de l'ordre éthique est en cours. Toute éthique discriminatoire doit être rangée dans les archives de l'histoire. La liberté et l'égalité sont des valeurs fondamentales qui doivent avoir leur place parmi les sources de l'éthique. Malheureusement, l'influence civilisatrice des valeurs laïques peine à être reconnue, car celles-ci pourraient faire de l'ombre aux valeurs religieuses. Si on pense qu'il est souhaitable pour la paix mondiale et le bien des populations que le monde islamique se désislamise quelque peu, on doit considérer que la laïcisation et la déchristianisation de notre société occidentale, loin d'être un drame, représente un progrès certain. L'éducation occupe une position stratégique. Sa fonction est-elle de répercuter la propagande religieuse et d'endoctriner, ou bien de développer l'autonomie intellectuelle et l'esprit critique ? L'Église a défendu son influence. C'est ainsi qu'en Valais, par le biais du cléricalisme, sous la forme de religion d'État, l'enseignement est resté sous la férule de l'Église catholique jusqu'en 1973 ! Contre le relativismeAujourd'hui encore, les faits apportent un démenti à ceux qui prétendent que la religion développe l'attention aux autres. Citons Pie IX, Nostis et Nobiscum : «Nos pauvres ne doivent pas s'attrister de leur condition ; car la pauvreté même leur prépare un chemin plus facile vers le salut ; pourvu toutefois qu'ils supportent patiemment leur indigence et qu'ils soient pauvres, non seulement en fait, mais en esprit.». Pour l'Église, la soumission des croyants à l'ordre établi est plus importante que leur bien-être. Le principal effet de la crédulité qui stimule la crainte du jugement de Dieu n'est pas de rendre altruiste, mais obéissant. Aux USA, ce sont les partis les plus religieux qui mènent la politique la plus défavorable aux pauvres. En comparant avec la Suède qui est connue pour son manque de foi, on peut dire que la social-démocratie fait nettement mieux que le christianisme réel. Il est préférable d'atténuer les injustices économiques et sociales plutôt que de développer la charité chrétienne. De plus, chez les catholiques, il y a un biais moral qui leur fait accorder plus d'attention à la sexualité qu'à la responsabilité sociale. Alors qu’un commerçant protestant se demande s'il a été honnête avec ses clients et ses employés, le patron catholique fait son examen de conscience des pensées impures qu'il a eues en côtoyant sa secrétaire. Ce n'est pas sans conséquence sur la marche des affaires : on peut observer un développement économique bien supérieur dans les régions protestantes. À des degrés divers, les religions tendent à discriminer les femmes. Si certaines mouvances religieuses sont ouvertes et tolérantes, d'autres ont une attitude inquiétante : certains groupes musulmans réclament l'application de la charia. Les religions se sont approprié la morale afin de renforcer leur pouvoir. Chacune la développe à sa sauce, parfois malodorante. Les morales religieuses sont loin d'être équivalentes. Une éthique de référence, universelle, est nécessaire. La morale universelle est fondée sur l'éthique laïque qui découle des droits humainsLa morale laïque des droits humains a progressé dans la société et tend à supplanter les morales religieuses. C'est ainsi que, depuis Vatican II, l'Église a dû reconnaître la liberté religieuse, mettre une sourdine au cléricalisme et, très récemment, accepter l’idée de ne plus protéger les prêtres pédophiles. L'universalisme inspiré par la foi, - « catholique » signifie « universel » - est la vision conquérante et impérialiste d'une confession. À l'intimidation moralisatrice, il faut apprendre à résister. Au contraire, l'universalisme des droits humains est un consensus librement consenti fondé sur la raison. Les droits humains ne sont pas des droits naturels au sens d'Aristote, mais le produit d'une décision éclairée : personne n'appelle de ses vœux un monde régi par la force et la violence. La morale religieuse n'étant qu'un particularisme, seule l'éthique laïque qui découle des droits humains peut fonder la morale et devenir la mesure de toutes les morales religieuses. A cette aune, en prenant pour exemple l'égalité des sexes ou le respect des homosexuels, le catholicisme est mieux classé que l'islam, mais moins bien que le protestantisme européen. Depuis 1948, les valeurs définies par la proclamation universelle des droits humains transcendent la diversité des religions. |
Version PDF | Contact | Accueil |