La connaissance du monde physiquepar Marcel Délèze / Juin 2001 |
§ 1 Délimitation du thèmeQue peut-on connaître de l’homme et de son environnement ? Quel est le statut de la connaissance ? Nous admettons ici que, derrière nos perceptions et conceptions du monde dans lequel nous évoluons, existe quelque chose de stable que nous appelons réalité. Par le fait que les expériences sont reproductibles, cette permanence constitue le fondement des sciences expérimentales. C’est cette permanence qui nous suggère l’existence d’un monde réel. Il ne s’agit pas ici de dire ce qu’est la réalité mais de porter un jugement sur la connaissance que nous en avons, en particulier sur la connaissance empirique (le sens commun) et la connaissance scientifique. Pratiquement, il s’agit surtout d’observer les processus par lesquels nous acquérons des connaissances. Une question est de savoir ce qu’il faut attribuer à la réalité proprement dite ou aux apparences parfois trompeuses. Quoique l’homme fasse partie du monde, pour simplifier, écartons les faits culturels et sociaux et concentrons notre attention sur la réalité physique. Nous devons distinguer d’une part des connaissances directes, immédiates, non élaborées et qui s’énoncent sous la forme d’événements particuliers («le soleil s’est levé», «j’ai rencontré Pierre», «la table a une longueur de 2 mètres», …), d’autre part des connaissances élaborées, c’est-à-dire qui ont subi un traitement rationnel et qui s’énoncent sous la forme de règles générales («le soleil se lève tous les matins», «l’accélération d’un objet tombant en chute libre est constante», …). Les connaissances élaborées incluent les connaissances scientifiques. C’est essentiellement à celles-ci que notre propos va s’attacher. Pour comprendre comment les connaissances se construisent, quelques éléments d’histoire peuvent nous éclairer. § 2 Brève histoire de la cosmogoniePour les Egyptiens de la période pharaonique, il naît chaque jour un nouveau soleil qui meurt le soir. Pour les Grecs de l’Antiquité, le soleil tourne autour de la terre sur un cercle. Pour la physique classique (Copernic, Newton, XVII-ème siècle), la terre tourne autour du soleil sur une ellipse et sur elle-même. Pour la physique relativiste (Einstein, XX-ème siècle), le soleil déforme l’espace autour de lui et la terre parcourt cet espace courbe. ![]() Malheureusement, cette théorie n’est pas compatible avec d’autres parties de la physique (la mécanique quantique). Elle ne peut donc pas être la théorie ultime. On rêve déjà de la prochaine théorie, celle de la Grande Unification. § 3 La notion de modèleEn quoi consistent nos connaissances élaborées ? Dans le domaine du sens commun, il s’agit de «représentations mentales». Dans l’étude du développement de l’enfant (épistémologie génétique), Piaget (XX-ème siècle), a réalisé l’expérience suivante : muni d’un tube opaque et de deux billes dont le diamètre est légèrement inférieur à celui du tube, un enfant introduit dans le tube d’abord une bille noire puis une bille blanche. Il doit prévoir la couleur de la première bille qui va ressortir du tube. Pour répondre correctement, l’enfant doit avoir atteint un certain degré de développement dans lequel il se représente mentalement la situation (par exemple, il imagine que la bille blanche est dessus). Dans le domaine scientifique, il s’agit de «modèles mathématiques». Pourquoi ne pas utiliser une langue naturelle ? En effet, dans une première étape, c’est par le langage naturel que passe la compréhension humaine. Cette étape est appelée «modèle verbal». Mais, la langue naturelle étant entachée de flou et d’ambiguités, elle ne permet pas de conduire un long raisonnement avec rigueur. Un modèle doit nécessairement s’exprimer dans un langage formalisé. Si de plus le modèle doit être quantitatif, l’usage des mathématiques s’impose. Dans son interaction avec la réalité, un modèle mathématique peut être représenté par le schéma donné en lien. On n’observe jamais des lois mais seulement des phénomènes. Les lois du monde réel sont comme cachées derrière un rideau. La détermination des lois fondamentales s’apparente à un jeu de devinettes. Il faut relever le rôle de la créativité et de l’imagination dans la construction des modèles. L’activité première des physiciens est d’émettre des hypothèses et de les tester. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les grands physiciens sont admirés. Il faut aussi remarquer que le modèle est d’une autre nature que la réalité : lorsque le physicien résout des équations pour effectuer une prévision, il ne prétend pas que la nature procède de la même manière. Un modèle n’est pas une image de la réalité, mais un ersatz c’est-à-dire un produit de substitution. Le modèle nous permet de nous passer de la réalité au point que nous puissions, par la pensée, aller plus vite qu’elle et effectuer des prévisions. § 4 La connaissance scientifiqueIl est intéressant de voir dans quel contexte historique et idéologique la physique classique est née. L’acte fondateur de la physique classique est, non seulement le recours à l’expérimentation mais aussi la confiance dans l’aptitude des mathématiques à décrire le monde. Galilée postulait que «La réalité est décrite par des lois mathématiques simples» et que «Les lois de la physique se rapportent, non au monde réel mais à un monde idéalisé». Le monde idéalisé est peuplé, non de corps physiques, mais de points matériels suspendus à des fils sans masse et qui constituent des systèmes qui se meuvent sans frottement. Comme le montre l’histoire, la connaissance scientifique ne coïncide pas avec la certitude. Il est extrêmement difficile d’énoncer des règles générales. Faisons un petit exercice. Les deux règles suivantes sont-elles vraies ?
La science est un ensemble d’hypothèses éprouvées. Une théorie scientifique affirme simplement que les grandeurs observables qu’elle contient sont compatibles avec les observations. Pratiquement, c’est le courant dominant la société des physiciens qui adopte les théories. Pour exprimer cette dépendance, on dit des théories scientifiques qu’elles sont «intersubjectives». La science demeure ouverte à une évolution : si de nouvelles observations infirment la théorie, la théorie doit être changée. Si la science n’est pas vérité, elle n’est pas non plus opinion car l’expérimentation permet d’éliminer les théories erronées. La théorie scientifique actuellement en usage est celle qui a le mieux résisté à la critique et, par conséquent, la meilleure possible. Pourquoi le marxisme et la psychanalyse ne sont-elles pas des sciences naturelles ? Pour y répondre, Karl Popper (XX-ème siècle, épistémologie des sciences) a introduit le critère de réfutabilité (en anglais «falsification») : une théorie scientifique doit être réfutable en affirmant que certains événements ne peuvent pas avoir lieu. Si une théorie peut s’accommoder de n’importe quels faits et tout interpréter, elle n’est pas scientifique. § 5 Le rôle des mathématiquesPour Aristote, le mouvement est premier et crée le temps. Il aime à répéter qu’il n’y a pas de temps sans mouvement. Pour l’expression mathématique, il considère conséquemment Δv/Δr = accroissement de la vitesse par unité de distance parcourue Cette formulation ne se prêtant que difficilement à la mathématisation, la physique fut bloquée dans une impasse pendant des siècles. Pour Galilée, le temps est premier et s’écoule uniformément ; le mouvement s’inscrit dans l’espace et le temps. Pour l’expression mathématique, il préfère considérer Δv/Δt = accélération Cette formulation facilite beaucoup l’expression du mouvement. C’est en mettant le temps au centre de ses préoccupations que Galilée a permis la mathématisation des mouvements. L’usage que l’on fait des mathématiques en physique dépend de la conception du monde que l’on a. Il ne s’agit pas de savoir si une attitude est juste ou fausse mais plutôt de vérifier empiriquement si une attitude est fertile ou non. Pour situer le rôle des mathématiques, il faut considérer trois «acteurs» : le monde réel, la physique et les mathématiques, chacun ayant son rôle propre et étant en communication avec les autres.
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