La quête du bonheur

de Marcel Délèze

Texte paru dans la Tribune des Athées 2022/2

Bien que ce conte se déroule dans un lieu imaginaire, les préoccupations philosophiques qui s’y manifestent sont bien réelles.

An 1

[Le disciple] Mes parents on fait de moi un catholique et je m'essaye sur ce chemin qui me conduira au salut.

[Le sage] Es-tu heureux ici maintenant ?

[Le disciple] Non, l'espérance d'un bonheur futur ne fait pas mon bonheur ici maintenant.

[Le sage] Te sens-tu comblé dans ta quête ?

[Le disciple] Dans le christianisme, l'homme naît coupable et, pendant toute sa vie, il reste coupable de ne pas en faire assez pour sauver son âme; ainsi, le bonheur n'est pas de ce monde. Eh bien non ! je ne veux pas renoncer au bonheur.

[Le sage] Pour tendre vers le bonheur, il n’existe pas qu’un chemin, le même pour tous, car chacun doit trouver sa voie. Si un jour je tendais mon doigt pour te montrer un chemin, ce ne sont ni le doigt ni le chemin qu’il faudra observer, mais la procédure pour déterminer ta voie.

[Le disciple] J'ai compris, je dois m'enquérir d'une meilleure voie.

An 2

[Le disciple] Celui qui se contente d'être le suiveur des tendances de son milieu renonce à être lui-même. Sa conscience personnelle est réduite à un reflet de son environnement social. Je veux interroger mon moi profond afin de devenir moralement indépendant et avoir les coudées franches pour développer ma pensée propre. J'ai abandonné les pratiques religieuses, et je cherche une approche personnelle de la religion.

[Le sage] Es-tu heureux ici maintenant ?

[Le disciple] Non, je suis mal assuré dans ma foi, et je mets en doute mon espérance.

[Le sage] Te sens-tu comblé dans ta quête ?

[Le disciple] Non, la culpabilité de ne pas parfaitement agir me poursuit.

[Le sage] Et alors ?

[Le disciple] J'ai compris, je dois m'enquérir d'une meilleure voie.

An 3

[Le disciple] Je me suis empli de la sagesse du New Age, et je me sens relié à l'univers entier.

[Le sage] Es-tu heureux ici maintenant ?

[Le disciple] Non, mais l'Ère du Verseau viendra et me submergera de bonheur.

[Le sage] Te sens-tu comblé dans ta quête ?

[Le disciple] Non, la vie quotidienne ne me satisfait pas.

[Le sage] Et alors ?

[Le disciple] J'ai compris, je dois m'enquérir d'une meilleure voie.

An 4

[Le disciple] La foi consiste à désirer des choses dont l'existence est invérifiable et improbable telles que la vie éternelle et le parfait bonheur du paradis, puis à déclarer, contre toute vraisemblance, que tout cela est assuré. Je me suis émancipé des croyances que l'on m'a insufflées, et j'ai pris de la distance d'avec les religions. Désormais, je suis agnostique.

[Le sage] Es-tu heureux ici maintenant ?

[Le disciple] Non, car l'espérance est devenue une simple éventualité.

[Le sage] Te sens-tu comblé dans ta quête ?

[Le disciple] Non, car la culpabilité demeure en tant qu'éventualité, donc en tant que sentiment permanent.

[Le sage] Et alors ?

[Le disciple] J'ai compris, je dois m'enquérir d'une meilleure voie.

An 5

[Le disciple] J'ai renoncé au Paradis obtenu artificiellement par la méthode Coué. Pour tendre vers la sérénité, il faut s'affranchir de la crainte de la mort. Les religions exerçant un chantage à propos de ce qui se passerait après la mort, je me suis allégé des croyances religieuses. Dédramatiser l'existence est une mesure d'hygiène mentale. Il faut prêter plus d'attention à la vie qu'aux mythes. Pour éliminer les obstacles au bonheur, il faut combattre les peurs qui se rapportent à des choses imaginaires ou non prouvées comme la peur de l'enfer. Je suis devenu athée. Je me suis ainsi libéré de la peur du Jugement dernier (ou de la réincarnation en un être inférieur) et j'ai cessé de trembler.

[Le sage] Es-tu heureux ici maintenant ?

[Le disciple] Non, mais je me sens beaucoup mieux. Après le soulagement, j'ai atteint un état permanent de légèreté. Les frustrations proviennent d'un manque d'adaptation au monde tel qu'il est, et je ne peux qu'accepter ce qui est inévitable. Les attentes irréalistes sont sources de déceptions. Il faut par contre s'attacher à ce qui dépend de nous. Lorsque je ne suis pas content de ma vie, il est généralement possible d'en corriger le cours, à condition toutefois d'avoir le courage d'investir l'effort nécessaire. À défaut de faire tout ce qui nous paraît désirable, on fait ce que l'on peut, mais on gagnerait à mieux définir ce que l'on veut vraiment, et à s'y tenir avec persévérance dans la durée. Pour aller loin, il faut avancer longtemps dans la même direction.

[Le sage] Te sens-tu comblé dans ta quête ?

[Le disciple] Oui, car j'ai compris qu'il faut chercher le bonheur ici maintenant. La vie est une opportunité dont il faut saisir chaque instant : aimer, apprendre, comprendre, construire, ... Je veux m'exercer à aimer la vie dans sa finitude et penser qu'être éphémère est une qualité. C'est un vrai travail spirituel que d'ouvrir son coeur pour apprécier l'instant présent sans cesse renouvelé.

[Le sage] Et alors ?

[Le disciple] Pour progresser sans errer, je veux me sentir en harmonie avec mes aspirations profondes, débarrassées des fantasmes et des utopies, mais sans nuire à la nécessité de bâtir un projet de vie, et avancer durablement dans la même direction, sans perdre de vue ma relation aux autres. Il vaut mieux rester constructif car, lorsqu'on porte un jugement rétrospectif sur sa vie, il y a généralement plus à regretter parmi ce que l'on n'a pas fait que parmi ce que l'on a fait.
J'ai beaucoup avancé dans mon chemin spirituel et j'ai trouvé une voie qui me convient.

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